Confinement #1

On se fait à tout. C’est ce qui m’inquiète dans le bouillon tiède de nos démocraties libérales. La marche de la surveillance technologiste était déjà bien enclenchée depuis quelques années, troquant les libertés personnelles pour le divertissement et la consommation. Le constat est là depuis longtemps, avec le grand retentissement du ‘lanceur d’alerte’ Edward Snowden en 2013, et sa traque par l’administration américaine, présidée par le produit marketing Obama. C’était il y a 7 ans. La réponse politicienne apportée sur la ‘transparence des données’ par l’UE ? 2016. Sa traduction française dans la loi ‘Informatique et Libertés’ ? 2018, avec une nouvelle modification au 1er juin 2019. « Tout va bien, j’ai rien à me reprocher »

Le tollé de la vidéosurveillance à reconnaissance faciale et des scores de citoyenneté en Chine ? 2018. Le mot et lancé, l’idée infuse, il suffira d’un ‘cas de force majeure’ ou autre ‘état d’urgence’ et on sera tou.te.s fiché.e .s. « Tout va bien, j’ai rien à me reprocher ».

Des zones commerciales pratiquent déjà par endroits le suivi GPS des consommateurices via la mise à disposition d’un WIFI gratuit à des fins de publicité personnalisée. Aujourd’hui je lis que l’État Français a demandé aux opérateurs téléphoniques de lui donner accès à ces données pour retracer les déplacements des citoyen.ne.s en temps de confinement. Je doute de la capacité logistique de l’administration française à tenir un suivi personnalisé de ses 67 millions d’habitant.e.s, des moyens humains et technologique effectifs pour traiter toutes ces données. Mais on peut identifier des tendances, déceler des écarts à la norme à peu de frais. Je ne doute pas que si l’on développe des algorithmes capables de traiter des masses de ces données de manière efficiente, nos démocraties sécur-autoritaires fondront dessus comme la vérole sur le bas-clergé.

On se fait à tout. L’adaptabilité est la valeur-phare du vivant. L’espèce humaine, qui s’érige en dompteuse et maîtresse de la ‘Nature’, concept fallacieux utile pour se distancier de tout ce qui vit sur Terre, n’échappe pas à cette règle. La mémoire fonctionne par répétition, un savoir est donc simplement une idée suffisamment répétée. Ainsi se forgent les Vérités qui tissent nos récits structurants. Supériorité de l’Esprit sur la Matière, l’Homme est un loup pour l’Homme, on n’a pas trouvé de meilleur système que le capitalisme, tous les Hommes naissent libres et égaux en droits, l’Histoire est écrite par les vainqueurs, ‘There is no alternative’, les énergies renouvelables sont la clé pour répondre au réchauffement climatique, seule l’agriculture productiviste est en mesure de nourrir bientôt 11 milliards d’êtres humains, la femme est douce et prend soin, l’homme est ambitieux et conquérant… Combien de vérité préconçues, de bons mots pour briller, d’adages non questionnés peut-on entendre et ingérer malgré nous dans la vie de tous les jours ? Et on s’y fait, on s’adapte, on modère nos discours à l’échelle de notre interlocuteurice. On entend qu’il faut rejeter les migrants dans la Méditerranée, et insidieusement l’idée est entrée dans le spectre de l’acceptable. Les polémiques stériles de plateaux télé sont des emballements temporaires, consommées par des masses tellement inertes qu’elles n’existent plus qu’en ‘parts d’audience’. Les chiffres nous déshumanisent plutôt que de nous raconter, et on se prend à penser en ‘pouvoir d’achat’, en ‘consomm’action’ ou en ‘électeurices’. Mort de la pensée politique. Sommé.e.s de se prononcer à échéances régulières sur telle ou telle marque déposée idéologique. Macron tapez 1, Le Pen tapez 2. Et on appelle ça ‘La Démocratie’.

On se fait à tout. Cette épidémie est un fait de société qu’il ne s’agit pas de nier. On peut en effet craindre un débordement d’un système de santé dont 40 ans de politiques néolibérales ont détricotté le pouvoir de répondre aux crises de ce genre. Il ne s’agit pas non plus de verser dans des théories affirmant que le virus aurait été créé par les gouvernant.e.s pour mettre les populations à genoux. Mais s’il est bien une chose par laquelle le Capitalisme s’est distingué d’autres formes politiques, c’est son adaptabilité à grande échelle. Et aujourd’hui le Capitalisme enfonce le clou, profitant encore une fois d’une crise majeure pour adosser le libre marché à des états ‘forts’, entendez surcontrôlés et liberticides. Une matrice politico-économique, créée par des humain.e.s et reposant sur leur foi dans ses valeurs d’échange.


Alors quoi faire ? Objection de conscience et sécession ? Organisation locale pour promouvoir la désobéissance ? De mon point de vue en campagne, je ne vois pas trop ce que je pourrais faire de plus, développer à ma mesure des alternatives, accueillir les objecteurices des Ailleurs, tenter de faire résonner la grogne dans mon voisinage et mes cercles affinitaires éloignés. Je souhaite courage et résistance aux copaines enfermé.e.s en ville, de décloisonner les imaginaires et de cultiver leur créativité de lutte. Face aux urgences simultanées qui nous assomment, de prendre le temps d’analyser et de trouver des réponses pragmatiques sur les moyens stratégiques à entreprendre, d’écouter leurs émotions sans sombrer dans l’impuissance.

Prenez soin de vous, des autres, et de détruire les oppressions.

Force et Souplesse