Une lettre à la mer

Cher-e-s ami-e-s, chères grappules,

Je t’écris car je suis en ce moment troublé pas des émotions fortes. Avec la tempête dans mon esprit, je sens le besoin de poser mes pensées avec des mots et de les partager.

Je suis perdu. L’ensemble de mes croyances qui ont construit mes 25 premières années sont en train de s’effondrer comme un château de cartes. Ce n’est pas soudain. Petit à petit, j’ai vu mon monde s’effriter au gré des événements, des rencontres, des livres et des analyses critiques.

Je ne crois plus dans les médias principaux. Majoritairement détenus par des organisations industrielles ou dépendant des subventions de l’état, ces médias disent encore faire leur travail indépendamment. Mais qui est encore crédule ? Je trouve leurs travaux et leurs analyses faibles, peu construits et parfois gravement bêtes pour des personnes qui se présentent comme une élite intellectuelle. Les chroniqueurs et éditorialistes que je trouvais avant respectables et critiques, m’apparaissent aujourd’hui risibles et m’écœurent. Est-ce moi qui ai changé ou bien est-ce que ce sont eux ? Sûrement les deux. Mais il y a de plus en plus de signes flagrants de censure et d’ingérence des possédants. L’exemple le plus marquant étant sûrement Bolloré avec Canal + qui en quelques années à complètement détruit le côté critique de la chaîne et poussé des journalistes à la démission dans l’indifférence totale des “élites”.

Je ne crois plus du tout dans le système politique. J’y ai cru, beaucoup plus ardemment que d’autres de ma génération il me semble. Mais ma mémoire ne contient qu’une liste de déceptions. Je n’ai pu qu’être déçu devant le triste spectacle de ce qu’est la Vème république et ses personnages grotesques, méprisants et ignorants. J’ai pu, et je le suis encore, parfois touché par certains discours de quelques personnages de gauche, mais force est de constater que ce ne sont que des paroles. Le pensent-il vraiment ? Que montrent leur actions ? Il me semble plus sage aujourd’hui en politique de ne plus croire en la représentation et de garder ce pouvoir, d’essayer de trouver des moyens de l’exercer moi même.

Si l’on reste autour des institutions, j’ai toujours été méfiant des organisations de commerce international comme tout bon gauchiste, mais je suis descendu de mon nuage quand j’ai réalisé le pouvoir qu’elles avaient et les ravages qu’elles causaient sur le terrain, notamment en Afrique. Je crois encore dans l’Europe, cette internationale à l’échelle de notre continent, qui propose un espace de paix, de solidarité et de partages entre les peuples qui y vivent. Mais lorsque je me suis intéressé à ce qu’est l’Union Européenne, notamment après la crise Grecque, j’ai été horrifié de voir que l’on avait obligé ses pays membres à faire toujours plus de néo-libéralisme coûte que coûte, quels que soient les gouvernements nationaux et l’avis de leurs citoyens. Et que dire de la Banque Centrale Européenne ou de la Commission Européenne ? Est-ce que ce sont des instances démocratiques ? Qui servent elles ? Je ne crois plus en cette Union Européenne, et plus encore depuis qu’elle est basée sur des fondements biaisés, où l’on demande à des pays de revoter pour que l’on aille dans le “bon” sens.

Je croyais être dans un pays de liberté et d’égalité. Il l’est encore par rapport à beaucoup de pays. Mais pourquoi rétrograder ce que l’on pensait acquis ? Pourquoi remettre toujours plus le pouvoir de la justice dans les mains de l’administratif et de l’exécutif ? Pourquoi défaire les libertés individuelles au nom de la protection ? Pourquoi donner tous les outils d’une dictature à notre pays ? Pourquoi défaire notre système de redistribution alors même que la part de personne en ayant besoin grandit et que les plus aisés amassent des fortunes ?

Plein de toutes ces questions et réflexions, je me suis plongé dans les livres. Et c’est avec étonnement que j’ai redécouvert l’histoire de mon pays depuis la révolution française à aujourd’hui. L’histoire simpliste enseignée au collège et lycée est beaucoup moins nette qu’elle en avait l’air. La république française qui semblait juste, démocratique, immuable et découlant du bon sens n’était soudain pas non plus si évidente. Le roman national et les belles histoires que l’on m’avait inculquées prenaient à présent des allures de propagande. Je me rends compte à qui je dois la société d’aujourd’hui. Ce sont aux gauches des résistants, des syndicats, des anarchistes, des socialistes et des communistes, aux millions de militants qui ont combattu pour des meilleures conditions et non aux quelques ministres ou patronat qui ont concédé une partie de leur richesse et pouvoir devant le rapport de force mis en place durant les deux derniers siècles. Je me rends compte aussi que des auteurs de la littérature françaises sont complètement dépolitisés dans l’enseignement du français au collège et lycée. Maintenant plus que jamais, j’ai envie de lire ces vieux écrits qui viennent et qui parlent d’une époque.

La révision historique de la police a été aussi un grand choc. La police est là pour me défendre et me protéger. C’est ce que je croyais. Mais encore aujourd’hui, c’est nier aussi son rôle dans la “paix”, notamment sociale, ou de conservation des institutions. Je me rappelle avoir eu assez peur des “immigrés” quand les médias parlaient des violences dans les banlieues durant la crise qui a popularisé Nicolas Sarkozy auprès de l’extrême droite dans les années 2000. Ce n’est que des années plus tard, au gré de rencontres et mon entrée dans le milieu militant que j’ai pu voir un autre regard. Une violence et une humiliation systémique de la police contre les populations immigrantes avec des blessés et des morts dans le plus grand silence. Puis cette violence a commencé à toucher des gens qui m’étaient proches qui participaient à la contestation sociale. Je comprenais enfin le caractère entier de la police. Depuis le mois novembre 2018 avec le mouvement des gilets jaunes, la France entière voit la violence de la police telle qu’elle l’exerce depuis des années dans les “banlieues” à coup de violences arbitraires, de mutilations et de morts. Je crains maintenant l’agenda politique de la police et qui d’ailleurs est réputé majoritaire à droite, dans le Rassemblement National.

Que dire encore de la crise écologique que la plupart des gens ignorent ? Même si la collapsologie devient le thème principal dans les milieux militants et se propage dans la société, est ce que cela va suffire ? Sommes nous à la hauteur des enjeux ? Agissons nous assez vite ? Quel est l’ampleur de la crise ? Est ce qu’il est déjà trop tard ? Quels mode d’actions ? Quel moyen ? Que faire ?

J’ai le sentiment que l’on doit tout refaire, tout repenser. Ce que croyais stable, ne l’est pas. Pire, ça va craquer. Et si ça craque, ça va mal se passer. Je suis perdu dans ce flot. Mais on n’a pas le choix, on doit trouver autre chose.

Autre chose vient troubler ma réflexion sur comment faire émerger une nouvelle société. C’est le regard des autres. Quand je reste dans les milieux militants, je sens à l’aise de parler de tout. Mais lorsque je sors des ces cercles, j’ai plus de mal. Mon point de vue sur le société est jugé radical, marginal et extrémiste, à traduire dans l’esprit des gens caricatural, grotesque et dangereux. Je ne me sens pas libre de partager ça avec ma famille ou tous mes amis, alors qu’ils sont eux même de sensibilité de gauche. Pourquoi ai-je intériorisé ce jugement ? Est-ce que je regarde trop les médias ? Ou bien est-ce que ce sont mes proches ?

La solution à tous ces problèmes est peut-être dans cette lettre. Discuter. Créer des espaces de discussions et d’échanges pour que les gens se parlent et se rendent compte que beaucoup pensent la même chose et que la société n’est pas si polarisé qu’on veut nous le faire croire. Le mouvement des gilets jaunes en est d’ailleurs peut être une des premières émanations.

Suis-je devenu délirant et radical ? Suis je dans ma bulle d'information formaté par de la propagande ? Suis-je le seul à voir ce monde sous cet angle ? Dis moi, que vois-tu ?